Où est passée la couleur ?
Réflexion d’une architecte d’intérieur engagée.
Dans les magazines, sur Pinterest, dans les showrooms, ou les appartements fraîchement livrés, une tendance s’est installée en toute discrétion :
Le tout neutre. Gris perle, beige sable, blanc cassé. Des murs aux rideaux, des canapés aux placards.
On appelle ça le neutre intemporel.
Moi, j’appelle ça : l’uniformisation du vivant.
Une esthétique lissée, sans aspérité.
Aujourd’hui, dans une société qui prône l’optimisation, la standardisation, et le consensus, la couleur est devenue un risque.Celui de se tromper. De déranger. De trop affirmer. De ne pas plaire.
Les grandes enseignes l’ont bien compris :
Le neutre, ça rassure. Ça se vend. Ça se partage.
Le beige mat est devenu la norme de sécurité — celle qui fait consensus sur Instagram et dans les appartements témoins. C’est la teinte des cuisines intégrées, des espaces d’accueil, des halls d’immeubles, des chambres d’hôtel qui veulent plaire au plus grand nombre.
Le résultat ?
Des lieux "parfaits" mais sans mémoire, sans vibration, sans ancrage.
Ce que la couleur raconte.
La couleur, ce n’est pas un simple effet décoratif.
C’est un langage. Une émotion. Une culture.
Dans certaines régions du monde, elle fait partie de l’identité même des espaces domestiques :
Les tons chauds d’Amérique latine
Les contrastes vibrants du Maroc ou de l’Inde
Les bleus francs, les ocres brûlés, les verts profonds
Dans ma culture latine, la couleur est une expression de soi. Elle parle de chaleur, de liens, de moments partagés. Elle n’essaie pas de faire joli. Elle essaie d’habiter le monde.
Ce qu’on perd quand on n’ose plus.
Le problème n’est pas la neutralité.
Le problème, c’est quand elle devient le seul horizon.
Quand tout devient beige, on perd :
le relief visuel,
le rythme narratif,
et l’occasion de raconter autre chose que du bon goût validé par algorithme.
La couleur fait peur parce qu’elle engage. Parce qu’elle ne plaît pas à tout le monde. Mais c’est justement là qu’elle devient intéressante. Elle nous oblige à prendre position. À faire un choix.
Et un intérieur, ce n’est jamais neutre. C’est une projection intime.
Créer des intérieurs habités.
Je ne dis pas qu’il faut peindre toutes les pièces en fuchsia.
Je dis qu’on peut — et qu’on doit — oser plus.
Chez Fredricks Interior Design, j’utilise la couleur comme un fil conducteur.
Elle raconte un usage, souligne une lumière, fait ressortir une matière, évoque une ambiance.
Dans une chambre d’enfant : un vert mousse profond pour créer un cocon protecteur.
Dans une cuisine inondée de lumière : un bleu grisé qui calme et équilibre le bois clair.
Dans une entrée monochrome : un mur safran qui devient point de repère.
Un client m’a récemment dit :
“Je pensais que ce serait juste joli, mais ça m’a changé l’humeur au quotidien.”
Et c’est ça, le vrai sujet : la couleur change notre rapport à l’espace et à nous-mêmes.
Ces créateurs qui m’inspirent
Certains architectes et designers montrent que la couleur peut être audacieuse, cultivée, vibrante — sans être criarde ou gadget :
India Mahdavi, pour sa palette sophistiquée, toujours juste
Adam Nathaniel Furman, pour ses visions radicales et joyeuses
Luis Barragán, maître de la lumière et de la couleur émotionnelle
Studiopepe, pour leur travail subtil sur les matières et les tons
Tous montrent que la couleur n’est pas une option.
C’est un levier d’architecture intérieure, au même titre que la lumière, les volumes ou les textures.
Et vous ?
Est-ce que vous avez envie de remettre un peu de vibration dans vos murs ?
De casser les codes du tout-beige ?
De créer un intérieur qui vous ressemble vraiment ?
La couleur ne doit pas être une peur.
Elle peut devenir un terrain de jeu, une intention, un dialogue entre vous et votre espace.